En Côte d’Ivoire, la production de jus de fruits tente de passer à l’échelle industrielle

« Made in Côte d’Ivoire » Chez le premier exportateur ouest-africain de fruits, la fabrication de boissons naturelles souffre encore d’un manque d’équipements et de savoir-faire.

Une petite presse à main, un récipient à jus, un autre pour jeter les écorces et le tour est joué. A Abidjan, chaque carrefour, chaque ruelle a son stand de boisson naturelle à 500 francs CFA (0,76 euro). Avec le cacao, les fruits sont l’une des principales richesses de la Côte d’Ivoire, premier exportateur ouest-africain de mangues fraîches (32 800 tonnes en 2021) et premier fournisseur africain de bananes. Reste à développer un écosystème pour la transformation de ces produits sur place – une transition qui commence à peine.

Les Ivoiriens boivent d’ores et déjà plus de fruits qu’ils n’en mangent. Mais si la production de petits volumes pour une consommation immédiate exige peu de technicité, la fabrication industrielle, elle, requiert des équipements, des infrastructures et un certain savoir-faire pour gérer les stocks de fruits, produire le jus et, surtout, le conserver. « Il y a deux façons de faire, résume Elie Chaker, PDG de l’Ivoirienne des produits tropicaux (IPT). Soit on transforme directement le fruit en jus naturel, soit on élabore un nectar à base de concentré. La première option est meilleure au goût et pour la santé, mais c’est aussi la plus compliquée pour les producteurs, et par conséquent la plus chère. »

Avant de s’ouvrir au grand public en 2018, la société IPT est longtemps restée dans la niche des hôtels haut de gamme d’Abidjan, Accor et Pullman en tête. Depuis, elle rivalise dans les rayons des supermarchés avec des concurrents toujours plus nombreux : les jus naturels d’Africa Foodies Industries ; la gamme Cêbon de Trafrule, qui fait à la fois du jus et du nectar ; la marque Présséa, du groupe sénégalais Kirène, qui se concentre sur le nectar ; et surtout un pilier du secteur, les canettes de jus naturels Ivorio.

Ce dernier a régné sans partage sur le marché dans les années 1980. Si le temps du quasi-monopole d’Ivorio est révolu, le changement d’échelle reste compliqué pour les petits entrepreneurs. « Pour les machines, tout vient de l’extérieur et est lourdement taxé, et le transport est extrêmement long et onéreux, explique Elie Chaker. Il faudrait des subventions de l’Etat et des formations adaptées. Nous, on a dû former sur place tout notre staff à l’aide des fiches techniques et des entreprises chez qui nous avons acheté les machines… Aujourd’hui, nous maîtrisons toutes nos procédures, mais ça a été un travail de longue haleine. »

Pression foncière

Même quand les usines sont en place, la matière première peut venir à manquer. Un problème rencontré récemment par Trafrule, dont l’unité de transformation a été inaugurée en 2021 et est dotée d’une capacité horaire de production de 5 tonnes de jus d’ananas, 10 tonnes de jus de mangue et 15 tonnes de concentré de tomate.

« Pour produire nos doubles concentrés de tomates, on ne trouve pas assez de fruits produits en Côte d’Ivoire, regrette Vincent Elegbo, chef de projet au sein de l’entreprise. Alors on a dû se tourner vers la Chine. On importe des tomates et des boîtes de conserve chinoises qu’on transforme en Côte d’Ivoire, c’est tellement dommage ! Côté jus, on a par exemple une capacité de transformation de 7 500 tonnes d’ananas. Mais on a du mal à en trouver suffisamment alors que c’est un fruit emblématique de notre pays. »

 

De plus de 200 000 tonnes au début du siècle, la production annuelle d’ananas est tombée à 50 000 tonnes

Les zones traditionnelles de culture de l’ananas, qui entouraient Abidjan, ont reculé vers l’intérieur du pays à cause de la pression foncière. De plus de 200 000 tonnes au début du siècle, la production nationale annuelle est tombée à 50 000 tonnes ces dernières années, selon l’agence de presse africaine APA News. Pour y remédier, l’Etat a entrepris depuis 2019 d’apporter son appui aux producteurs et a budgété 9,4 milliards de francs CFA (14,3 millions d’euros), en partenariat avec la Banque africaine de développement (BAD), pour financer l’industrialisation des filières mangue et ananas.

« A son âge d’or, des années 1980 au début des années 2000, l’ananas avait un impact fort sur le PIB de la Côte d’Ivoire, rappelle le producteur Yves-Auguste Ablé. Quand on faisait nos 250 000 tonnes, c’était entre 15 et 20 milliards de francs CFA de recettes fiscales pour l’Etat. C’est un sacré manque à gagner ! » Egalement secrétaire du cadre de concertation des acteurs de la filière ananas en Côte d’Ivoire, il se bat pour la mise en place d’une organisation interprofessionnelle qui serait dotée d’un collège de producteurs et d’un collège de transformateurs.

Changement climatique

A son échelle, c’est aussi dans cette optique que Trafrule s’est implantée à N’douci, à une centaine de kilomètres au nord-ouest d’Abidjan. Une zone historique de production de l’ananas, où la société entreprend de lancer sa propre exploitation pour relancer la production locale et sécuriser ses approvisionnements. « On n’a pas d’autre voie possible, plaide Yves-Auguste Ablé. Il faut qu’on prenne en compte toute la chaîne de valeur pour pouvoir améliorer notre compétitivité, notre rentabilité et la distribution de nos richesses. »

Mais une lame de fond plus menaçante se profile : le changement climatique, qui bouleverse les saisons dans le golfe de Guinée et se ressent lourdement sur les activités agroalimentaires. La plupart des champs ivoiriens ne sont pas irrigués et dépendent donc des aléas climatiques qui font fluctuer le calibre, le taux de sucre et l’acidité des fruits. Des variations anecdotiques quand on produit des nectars à base de concentrés, mais catastrophiques pour l’industrie du jus naturel.

Côté ananas, les fruits sont ainsi tantôt clairs et très liquides, tantôt fibreux et sucrés. La saison du fruit de la passion n’est jamais venue en 2022, celle de la mangue ne cesse de se décaler d’année en année, et les prix de l’hibiscus, du gingembre et du tamarin ont flambé…

Côté ananas, les fruits sont ainsi tantôt clairs et très liquides, tantôt fibreux et sucrés. La saison du fruit de la passion n’est jamais venue en 2022, celle de la mangue ne cesse de se décaler d’année en année, et les prix de l’hibiscus, du gingembre et du tamarin ont flambé…

Producteurs et transformateurs n’ont pas les moyens, à eux seuls, d’enrayer le changement climatique global. Mais pour que les filières de transformation du fruit continuent de se développer, nombreux sont les acteurs qui plaident pour une diversification des produits. Les confitures, marmelades et fruits secs sont moins dépendants que les jus naturels de la qualité des fruits, et la Côte d’Ivoire pourrait s’inspirer dans ce domaine du voisin burkinabé.

Source : lemonde.fr